Du dessin au tissu : restaurer un motif textile vintage

Lorsque j’ai découvert les dessins de Frédéric Millot, dessinateur textile du début du XXe siècle, j’ai immédiatement su qu’ils méritaient une seconde vie. Comme je vous l’ai déjà raconté, c’est ainsi qu’est né Tissœurs Éditions (pour toute l’histoire, c’est ici).

Autant vous dire que, confiante dans mes compétences de graphiste, j’étais assez tranquille sur cette partie du projet. Mais très vite, j’ai compris que restaurer un motif textile ne se résumait pas à un simple scan et quelques clics sur Photoshop. Comme souvent, on ne mesure jamais vraiment l’ampleur d’un travail avant de s’y atteler (ou parfois l’inverse d’ailleurs, on surestime… mais bref).

Voici comment je procède pour numériser et adapter ces motifs aux exigences modernes, tout en respectant leur essence historique.

Préparation & numérisation du dessin

Avant toute chose, j’examine chaque motif à la loupe. Le temps n’a pas été tendre avec eux : papiers jaunis, couleurs délavées, petits morceaux manquants… Chaque dessin a son lot de défis.

Pour capturer ces œuvres fragiles, j’utilise un scanner haute résolution (1600 dpi minimum). Il restitue chaque détail avec une précision chirurgicale, révélant même les traits de construction au crayon de papier que l’artiste utilisait pour garantir la régularité du motif. C’est comme une plongée dans l’atelier d’un dessinateur textile d’un autre siècle, où chaque coup de pinceau et de plume raconte une histoire.

Une fois le dessin capturé, l’image brute nécessite un travail d’optimisation et de rééquilibrage des couleurs et contrastes. En effet, les couleurs d’origine peuvent avoir perdu de leur éclat et de contraste. Je les ravive pour permettre de visualiser le motif plus clairement pour la suite du travail.

Restauration et retouche numérique du motif

Certains motifs comportent des zones endommagées.

Grâce à des logiciels comme Photoshop et Illustrator, je me transforme en restauratrice en :

• Supprimant les imperfections : poussières, taches et traces du temps sont soigneusement effacées pour obtenir une image propre et exploitable.

• Complétant le motif par clonage et peinture numérique. À la tablette, je redessine à la main certaines parties ou la totalité du motif avant sa vectorisation.
• Vectorisant le motif, c’est à dire en transformant le dessin en image vectorielle, pour pouvoir l’agrandir sans perte de qualité, simplifier certaines formes et préparer le terrain pour les déclinaisons de couleurs et la mise au raccord.

Mise au raccord : craquage de neurones

Un beau motif, c’est bien. Un motif qui se répète parfaitement, c’est mieux ! Qu’il soit destiné à l’impression textile, à la papeterie ou même au papier peint, il doit être raccord.

Mais voilà, les dessins du fonds Frédéric Millot n’ont pas été tous été conçus pour être imprimés tels quels. La plupart étaient des esquisses, des éléments d’un portfolio destinés à inspirer les clients avant qu’une version finale ne soit commandée.

Je dois donc finaliser le travail en :

• Analysant le type de raccord : droit, sauté, en miroir… chaque type de raccord modifie la manière de le travailler et son rendu.
• Corrigeant les décalages et ajustant les lignes pour une répétition fluide. C’est opération très fastidieuse et longue mais que j’adore ! Je rentre dans le flux du motif et je m’y perds !
• Effectuant des tests de répétition sur logiciel pour s’assurer que l’illusion fonctionne à la perfection.

La mise au raccord demande un apprentissage et un état d’esprit très particulier pour pouvoir comprendre et anticiper comment le motif va se comporter dans la répétition. Cela demande beaucoup de temps, de patience et d’essai successif pour aboutir à une version parfaitement équilibrée.

Palette de couleurs et variantes

Une fois le motif prêt, place à la créativité !

C’est à ce moment-là que j’interviens avec mon interprétation personnelle. Je crée différentes gammes de couleurs, j’adapte l’échelle des motifs et parfois, je les simplifie pour explorer d’autres possibilités.

Pour ma première collection, j’ai testé pas moins de 12 gammes colorées, chacune avec entre 5 et 12 variantes de motifs. Une véritable explosion de nuances !

Phase de tests avec l’imprimeur

Avant de vous proposer ces motifs, je m’assure que tout fonctionne parfaitement à l’impression. Car, entre l’écran et le tissu, il y a un monde !

• Tests d’impression sur échantillons : je vérifie que les couleurs ressortent comme prévu et que le rendu du motif est impeccable.
• Adaptation aux contraintes techniques : l’impression numérique a ses exigences en matière de format et de colorimétrie que je dois respecter pour garantir un résultat optimal.

Vers une production écoresponsable

Chez Tissœurs Éditions, j’ai à cœur de proposer une alternative durable et respectueuse de l’environnement. Pour cela, j’adopte plusieurs pratiques responsables :

• Impression à la demande : fini le gaspillage, j’imprime uniquement ce qui est commandé et destiné à être cousu !
• Impression pigmentaire : écologique et économe en eau, elle fixe durablement le pigment au tissu par réaction chimique. Recuit à 150-160°C, l’excès d’eau s’évapore sans générer de déchets nocifs.
• Fabrication en circuit court : mon tissu passe directement de mon imprimeur européen à vous, sans détour inutile. Moins de transport, moins d’émissions carbone, plus de bon sens !

Préserver et réinterpréter le patrimoine textile

Ces motifs vintage sont bien plus que de simples dessins. Ils incarnent une esthétique intemporelle et un patrimoine artistique inestimable. Leur donner une seconde vie est une aventure passionnante et minutieuse, mêlant tradition et innovation.

Rééditer ces dessins, c’est non seulement les préserver, mais aussi les adapter aux tendances et aux besoins contemporains. Ma mission est de conserver l’âme du motif tout en l’intégrant dans un processus de production moderne, éthique et durable.

Loin des tendances standardisées de la fast-fashion, ils offrent une singularité qui séduit les créateurs et créatrices en quête d’originalité. Grâce à Tissœurs Éditions, ces dessins centenaires retrouvent toute leur splendeur sur des tissus contemporains, prêts à inspirer les couturier·es en quête de singularité et d’histoire.