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Derrière les motifs : l’histoire oubliée des dessinateur·ices textiles
Avant que le tissu ne passe sous l’aiguille, il passe sous le pinceau. Et pourtant, rares sont les couturier·es qui connaissent les noms de celles et ceux qui ont dessiné les motifs qu’ils ou elles manipulent au quotidien.
Chez Tissœurs, on aime remonter les fils de l’histoire. Alors pour cette série, on a décidé de s’intéresser à ces créateur·ices de l’ombre, celles et ceux qui ont dessiné nos tissus bien avant qu’ils n’arrivent sous nos ciseaux.
On commence par le tout début : le XVIIIe siècle, quand le dessin textile commence à devenir un vrai métier.

Quand le coup de crayon s’apprend à l’atelier
Au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, devenir dessinateur textile n’était pas tant une affaire de vocation artistique qu’un apprentissage rigoureux façonné par le contexte économique et familial.
Dans les centres de production textile comme Lyon, Mulhouse ou Rouen, le dessin de motifs n’était pas une discipline abstraite, mais une compétence utile, directement liée aux besoins de la manufacture.
On apprenait donc le métier bien souvent « sur le tas », dans l’atelier d’un fabricant ou auprès d’un parent déjà dans le métier.

Aujourd’hui, ce genre d’apprentissage pourrait laisser un sentiment d’imposture, d’un savoir douteux, acquis sans avoir été sanctionné par des professeurs reconnus et un diplôme formel. Cependant, à l’époque, l’apprentissage formel — au sens scolaire — était l’exception, pas la règle.
Un jeune garçon montrant des dispositions pour le dessin pouvait se voir confier très tôt des tâches techniques : tracer des contours, remplir des à-plats, recopier des ornements existants. La transmission passait par l’imitation et la répétition, dans un cadre où l’objectif n’était pas l’expression artistique mais la reproductibilité du motif.
La manufacture, première scène d’apprentissage
Avant même l’apparition des écoles spécialisées, c’est la manufacture qui jouait un rôle d’incubateur de talents. Près de Rouen, la Manufacture d’indienne Keittinger & Fils, a formé des générations de dessinateurs directement sur les lieux de production.
On y formait les jeunes à toutes les étapes de l’impression textile, de la gravure des planches à la mise en couleur des modèles, en passant par l’étude des goûts des marchés visés. L’enseignement était donc orienté vers l’efficacité : produire des motifs séduisants, adaptables à différentes techniques (impression à la planche, à la réserve, au rouleau), et faciles à répéter.


Cela impliquait de solides compétences techniques, mais aussi une capacité à comprendre les tendances esthétiques de l’époque, de l’orientalisme à la mode rocaille.
Des origines modestes, un métier de labeur
Le dessinateur textile, un ouvrier avant tout
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les dessinateurs textiles du 19e siècle n’étaient pas perçus comme des artistes.
Leur statut était bien plus proche de celui d’un ouvrier spécialisé. Dans bien des cas, leur parcours commence dans un milieu modeste : fils de tisserands, de graveurs, de teinturiers, ou d’autres travailleurs du textile.

C’est un métier de progression lente : on débute comme apprenti, puis aide-dessinateur, et enfin chef-dessinateur — un poste envié qui permettait de superviser une petite équipe.
L’ascension sociale par le motif
Ceux qui parvenaient à devenir chefs-dessinateurs accédaient à une forme de reconnaissance sociale, sans toutefois quitter le monde ouvrier.
À Mulhouse, la société industrielle publie au 19e siècle des notices nécrologiques saluant les carrières longues et les talents reconnus de certains dessinateurs, preuve que l’on pouvait s’élever par la compétence, à défaut d’entrer dans la bourgeoisie. C’était une forme de méritocratie technique, où l’habileté à concevoir un bon motif valait parfois plus qu’un diplôme.
L’école s’installe : structuration d’un métier
La création des écoles de dessin textile
Avec l’essor industriel et la nécessité de former une main-d’oeuvre qualifiée, les premières écoles de dessin textile apparaissent dans la seconde moitié du 19e siècle.
C’est le cas de l’École de dessin de Mulhouse fondée en 1822, ou encore de celle de Lyon. Ces institutions visent à élever le niveau technique des jeunes apprentis, tout en les exposant à des influences artistiques plus larges : ornementation antique, art japonais, motifs floraux, géométrie décorative…

Les élèves y apprennent la perspective, le dessin d’ornement, la mise en couleur, la gravure sur cuivre ou sur bois, et bien sûr l’adaptation du dessin aux contraintes techniques de l’impression textile.
L’objectif est double : renforcer l’efficacité de la production et affirmer une identité locale dans les motifs.
Le rôle de l’industrie dans la formation
Les industriels financent parfois directement ces écoles, conscients de l’intérêt stratégique qu’ils ont à disposer de bons dessinateurs.
À Mulhouse, la Société industrielle du Haut-Rhin joue un rôle actif dans la structuration de l’enseignement artistique appliqué à l’industrie textile. On est encore loin d’un enseignement purement artistique : tout est tourné vers la fonctionnalité, l’exportabilité du motif, sa lisibilité après impression.

C’est d’ailleurs aussi à cette époque que les premières actions qui aboutiront à la création du Musée des Étoffes Imprimées sont initiées par la même Société industrielle du Haut-Rhin. Pour en savoir plus sur ce chouette musée, vous pouvez lire mon article relatant ma visite du musée sur mon blog perso.
Une culture du motif : entre art, technique et commerce
Le 19e siècle est une période d’ouverture, et les dessinateurs textiles ne travaillent pas en vase clos. On voyage, ou à défaut, on consulte des échantillons venus d’ailleurs.
L’influence des voyages et des échantillons étrangers
Si les ouvriers du textiles voyagent peu ou pas, des recueils de motifs indiens, persans, chinois circulent dans les manufactures et les écoles.
À Mulhouse, on collectionne les impressions du monde entier : l’Orient inspire des palmettes, le Japon fait naître des paysages épurés, l’Italie inspire arabesques et feuillages.

Le dessin textile devient ainsi une forme d’interprétation visuelle de l’ailleurs. Les motifs ne sont pas des copies fidèles, mais des adaptations stylisées répondant aux goûts européens, eux-mêmes influencés par les modes artistiques du moment.
Le motif, un langage universel
Chaque motif raconte une histoire, souvent plus commerciale qu’artistique : la fleur stylisée attire les ménagères, le décor rustique séduit les classes populaires, les arabesques séduisent les marchés du Moyen-Orient.

Le dessinateur textile devient ainsi un fin connaisseur des goûts sociaux. Il travaille autant pour les clients bourgeois que pour l’exportation vers l’Empire ottoman ou les colonies.
La montée en puissance des femmes dans le dessin textile
Si l’histoire a longtemps été écrite au masculin, les femmes ont aussi tenu le crayon dans les ateliers textiles.
Invisibilisées mais bien présentes
Certes, elles étaient peu nombreuses dans les postes officiels ou les écoles de dessin, mais elles intervenaient fréquemment comme coloristes, copistes ou dessinatrices dans les ateliers familiaux. C’est souvent à domicile, à l’écart des circuits de formation officiels, qu’elles contribuaient à la richesse des motifs.
Dans certaines manufactures, les veuves et filles de dessinateurs pouvaient parfois reprendre le flambeau. Mais leur travail restait peu valorisé, considéré comme « assistance » plutôt que création.
Le 20e siècle : début d’une reconnaissance des femmes
Ce n’est qu’au tournant du 20e siècle que les premières femmes commencent à intégrer les écoles de dessin textile et à signer leurs créations.

Cette lente reconnaissance a permis de diversifier les sources d’inspiration, en ouvrant l’espace créatif à d’autres sensibilités.
Il est intéressant de constater l’inversion des tendance puisque, de nos jours, la profession de designer textile (les termes changent aussi) est très fortement féminisée : autour de 70% de femmes chez designers textiles salariés.
Un métier qui s’adapte à l’industrialisation
Du pinceau à la machine
Avec l’essor de l’industrialisation, le métier de dessinateur textile change de visage. La main reste précieuse, mais la mécanique impose ses contraintes : le motif doit être modulable, compatible avec les cylindres d’impression, reproductible à l’identique sur des dizaines de mètres.
Les dessinateurs apprennent à penser en «rapports» — ces fragments de motifs qui, une fois répétés, créent une surface continue sans rupture.

La machine n’élimine pas le besoin de dessin, mais elle en redéfinit les règles. Le style devient plus géométrique, les palettes plus limitées, les effets plus calculés. C’est une forme de rigueur qui s’impose, sans tuer pour autant la créativité.
Vers une nouvelle reconnaissance du métier de dessinateur textile
Au fil du 19e siècle, le dessinateur textile acquiert une reconnaissance croissante, en particulier lorsqu’il parvient à signer ses modèles ou à monter son propre atelier.
Les expositions industrielles valorisent leurs créations, les collections se conservent dans des musées, comme à Mulhouse ou Lyon. Ce métier longtemps discret se découvre alors comme un pilier de l’industrie textile française.
Pourquoi rouvrir cette page aujourd’hui ?
Forcément parce que cette histoire me passionne et que j’ai envie de vous la partager. Chez Tissœurs Éditions, cette histoire oubliée résonne particulièrement.
Les motifs que nous proposons aujourd’hui sont issus de la fin du 19e et du début du 20e siècle.
Quand nous retrouvons un dessin original dans une boîte d’archives ou un carton jauni, on devine, derrière les formes et les couleurs, la main de Frédéric Millot. Un geste qui a traversé le temps, et que nous choisissons de restaurer avec soin.
Dans les prochains articles, on poursuivra ce fil :
- Je vous parlerai de l’âge d’or du 19e siècle et du quotidien de ces artistes de l’ombre.
- Puis on s’intéressera aux profils individuels, à ces dessinateur·ices sans signature, comme Frédéric Millot, dont le travail inspire toute notre démarche.
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1 thoughts on “Derrière les motifs : l’histoire oubliée des dessinateur·ices textiles”
Merci de ce tour d’horizon. Sans racines, on ne pousse pas ! J’ignorais que Sonia Delaunay avait créé pour le textile.